Cette proposition de communication porte sur un projet de recherche, intitulé « Les risques émergents de la mobilité durable » (RED). Ce projet, financé par l’ANR et piloté par le Laboratoire LIEU d’Aix Marseille Université, a réuni de 2014 à 2019 des équipes de l’IFSTTAR/TS2/LMA, du laboratoire LIVE de l’université de Strasbourg, et du laboratoire IDEES de l’université de Caen. La promotion d’une mobilité plus durable, alternative à l’automobile, est désormais une priorité des politiques urbaines dans un contexte d’urgence environnementale. Cela se traduit notamment par la réduction de la place de l’automobile dans certains secteurs de l’espace urbain, la promotion de la marche à pied et du vélo, le développement des transports publics avec comme objets phares ceux en site propre tels que le tramway. Cependant, ces évolutions des politiques urbaines de mobilité semblent générer de nouveaux risques, liés notamment à des nouvelles formes d’aménagement, au développement de nouveaux usages, et au traitement spatialement sélectif des espaces. Sans pour autant remettre en cause la légitimité de ces politiques visant une mobilité plus respectueuse de l’environnement, il convient d’aborder frontalement les problèmes qu’elles induisent pour améliorer leur efficacité et leur durabilité. L’hypothèse générale du projet est que la grandeur de la justification écologique relègue au rang d’impensés les dysfonctionnements induits par les politiques de mobilité durable. Le projet RED visait une meilleure connaissance et compréhension des risques induits et généralement peu questionnés en vue d’une meilleure prise en compte dans l’action publique et notamment dans l’intervention sur les territoires et les espaces urbains. Cela implique ainsi de produire des connaissances sur les risques objectifs émergents de la mobilité durable qu’il s’agisse de risques concernant la sécurité des déplacements ou ceux liés à la fragmentation spatiale et sociale des territoires urbains. Cependant ces connaissances seules ne suffisent pas, cela implique également de repérer les verrous cognitifs des paradigmes et référentiels en oeuvre dans la gestion territoriale qui freinent leur prise en compte. Méthodologie L’approche commune de l’ensemble des travaux de ce projet est centrée sur l’analyse de l’action publique territoriale et la mise en oeuvre spatialisée des mesures et des aménagements de la mobilité durable. Ces travaux ont abordé l’action publique à différentes échelles. Le projet a mobilisé les méthodes et cadres d’analyse des sciences humaines et sociales et fédéré des géographes, des économistes, des aménageurs-urbanistes, des politistes, des psychologues, des ingénieurs en transport. Les travaux ont plus particulièrement porté sur les trois terrains de Marseille, Strasbourg et Caen correspondant aux terrains sur lesquels les laboratoires impliqués dans le projet capitalisent des données. Mais d’autres terrains ont également été étudiés pour compléter ces analyses. Principaux résultats obtenus Les travaux auxquels l’IFSTTAR a contribué ont mis en évidence les principaux résultats suivants : − Bien que justifiées par la nécessité environnementale, les politiques de mobilité durable et les aménagements mis en oeuvre dans ce cadre, servent souvent davantage des objectifs d’amélioration du cadre de vie et d’attractivité économique. Les aménagements et mesures de limitation de la place de l’automobile ne semblent concerner que certains secteurs des agglomérations, souvent centraux ou stratégiques, et composent avec la recherche croissante d’accessibilité à l’échelle de l’agglomération. Plus généralement, malgré les politiques urbaines visant à promouvoir une mobilité alternative plus durable, on constate la persistance du système automobile. Les référentiels de l’action publique demeurent marqués par la concurrence territoriale et un modèle économique contemporain qui fait de l’hypermobilité la condition du développement. − Le réaménagement des espaces publics dans le cadre des politiques de mobilité durable se traduit par de nouvelles formes d’espaces. Ces nouvelles configurations, parfois ambiguës, ne sont pas sans conséquences sur les risques, notamment en termes d’accidents. Ainsi dans les espaces réaménagés pour les transports collectifs en site propre tels que les tramways ou les bus à haut niveau de service, de nouvelles formes d’accidents apparaissent en lien notamment avec le manque de lisibilité. Dans ces rues, on observe néanmoins une baisse du nombre d’accidents principalement due à la réduction du trafic automobile sur ces axes. A l’échelle des agglomérations, aucun bénéfice global sur la sécurité n’apparait cependant avec la mise en place d’un tramway. Le manque de lisibilité caractérise aussi d’autres espaces de la mobilité durable tels que ceux aménagés pour offrir plus de place aux piétons sans pour autant aller jusqu’à la piétonnisation totale. Ces aménagements aux configurations non usuelles, même s’ils semblent bien favoriser la fréquentation piétonne et la pluralité d’usages, paraissent porteurs d’ambiguïté qui générent des incompréhensions pouvant être à l’origine de conflits d’usages et pour certains d’insécurité notamment lorsque des voies de circulation dédiées aux transports en commun traversent ou jouxtent ces espaces de « semi-piétonnisation ». − La diminution de la place de l’automobile visée par les aménagements mis en oeuvre notamment dans les espaces centraux des agglomérations, contribue au développement des deux-roues motorisés. L’incidence sur la sécurité représente une évolution négative compte tenu du risque élevé d’accident de ces usagers. Or ce mode de déplacement reste oublié des politiques de déplacement. La prise en compte des spécificités des deux-roues motorisés dans les pratiques d’aménagement visant une mobilité plus durable s’avère ainsi nécessaire. D’autres résultats ont été mis en évidence dans le cadre de ce projet. L’approche des transformations des espaces urbains du point de vue de l’ergonomie spatiale, à l’échelle du territoire, a notamment fait apparaître une grande variabilité de l’accès aux ressources selon les caractéristiques spatiales et sociales du lieu de résidence. De plus, les possibilités pour les habitants de changer leur mode de déplacement s’avèrent également très inégales d’un secteur à l’autre du territoire urbain. L’incidence des mesures visant à inciter les habitants à changer de mode de déplacement apparait donc limitée et risque même d’accroître les inégalités au sein de l’espace urbain. Ces principaux résultats illustrent les contributions du projet à l’amélioration des connaissances sur les risques des politiques de mobilité durable et à leur prise en compte dans les actions territorialisées et de conception des espaces urbains. n, 6-8 juin 2018.